Fin connaisseur du système financier, Philippe Herlin nous offre dans son livre 'La fin des banques ?'’ une analyse détaillée des évolutions prévisibles de ce secteur d’activité. Pour l’instant relativement préservée, la banque fait l’objet de toutes les convoitises tant de la part de start-ups ou que d’acteurs plus établis comme Apple. La proposition de valeur de ces nouveaux entrants paraît attractive : offrir de meilleurs services, plus innovants, à des coûts beaucoup plus compétitifs. Philippe Herlin répond dans cet article aux questions de Pierre Guimard, associé chez Keley Consulting.
Keley : Les innovations apportées par Airbnb, Deezer, Blablacar et Uber ont changé en profondeur des secteurs d’activité bien établis. Quelles sont les grandes innovations qui vont « disrupter » la banque ?
Philippe Herlin : La banque est un secteur plus complexe que les taxis ou la musique en ligne, parce qu'elle regroupe plusieurs métiers : moyens de paiement, épargne, crédit, pour prendre les plus basiques, mais aussi devises, affacturage, produits de couverture, etc. Il ne peut donc pas y avoir "une" innovation disruptive qui "ubérise" les banques, mais une multitude. C'est justement ce que l'on voit aujourd'hui avec des acteurs importants (Apple, Orange, Facebook Messenger) et des startups, les Fintechs. L'attaque principale intervient sur les moyens de paiement, comme je l'explique dans mon livre, et c'est le plus dangereux pour les banques puisqu'il s'agit du point d'entrée du client, qui ensuite accède à d'autres services.
Keley : Les banques traditionnelles s’appuient sur une image forte de solidité mais aussi sur l’inertie de leurs clients habitués à une relation de proximité. Les institutions ne sont-elles pas protégées par leurs réseaux ?
PH : Je ne le pense pas. Aujourd'hui les clients sont en relation avec leur banque essentiellement via Internet ou leur smartphone, il ne faut donc pas exagérer leur avantage concurrentiel concernant leur réseau physique. C'est même plutôt un poids pour elles.
Keley : Comment jugez-vous l’attitude des banques françaises ? Sont-elles conscientes de la mutation qui s’annonce ? Comment peuvent-elles survivre ?
PH : Les banques ne me semblent pas vraiment conscientes des risques vu le peu d'initiatives qu'elles prennent. Comment peuvent-elles survivre ? Selon moi à travers deux actions :
1) imposer la vérité des prix sur les moyens de paiement, c'est-à-dire rendre les chèques et les retraits en liquide payants, au moins en partie, et en contrepartie baisser les frais de carte bancaire pour les commerçants à 1% (contre 2 à 3 aujourd'hui), de façon à bloquer ou contenir les nouveaux arrivants.
2) Diviser au moins par deux leur nombre d'agences et de salariés et faire bénéficier leurs clients des économies réalisées par une baisse significative des frais bancaires. Les banques retrouveront ainsi de très bonnes relations avec leurs clients, commerçants et particuliers, là où actuellement la suspicion l'emporte. Sinon c'est l'ubérisation qui les attend.
Keley : En vous lisant, il semble que le Bitcoin offre paradoxalement une sécurité supérieure aux monnaies classiques. Quelles sont les forces de cette nouvelle monnaie, notamment en ce qui concerne la gestion des flux d’information ?
PH : Le réseau bitcoin n'a jamais été pris en défaut depuis son lancement en 2009, mais attention, le danger rode autour, vous pouvez vous faire voler vos bitcoins sur votre ordinateur ou sur la plateforme qui vous les stocke (affaire MtGox). Le bitcoin permet des paiements et des virements internationaux pour un coût minime, et en plus son protocole permet de construire des services financiers complets. Son potentiel s'avère très élevé, nous n'en sommes qu'au début.
Keley : Si l’on se livre au jeu des pronostics, qui sera l’acteur le plus disruptif selon vous ? S’agit-il d’un des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ? De startups ? Ou d’une banque déjà dans la place ?
PH : Difficile à dire, nous n'en sommes qu'au début, mais je penche pour ceux qui bénéficient déjà d'une base clientèle importante et d'une compétence technique reconnue, et donc GAFA, spécialement Apple (mais pas Facebook, qui n'inspire pas une vraie confiance chez ses utilisateurs), mais aussi des opérateurs téléphoniques comme Orange et Vodaphone (qui ont déjà développé des services bancaires complets en Afrique avec Orange Money et M-Pesa), en n'oubliant pas les grands distributeurs qui se lancent également (Walmart et d'autres avec CurrentC aux Etats-Unis).
Keley : La fin des banques, c’est pour quand selon vous ? Doit-on vendre ses actions Société Générale ou HSBC dès maintenant ou peut-on attendre ?
PH : Non, ce n'est pas à court terme, mais on peut dès maintenant s'intéresser aux Fintechs.
Philippe Herlin est l’auteur de ‘Apple, Bitcoin, Paypal, Google : la fin des banques ? Comment la technologie va changer votre argent ?’